“La nature humaine, c’est le fascisme”

Une perspective anti-autoritaire de la vie sociale.

Qu’est-ce que la nature humaine ? Un réceptacle. Une sorte de jarre, dans laquelle on fait sa « cuisine », à laquelle on intègre les éléments qui nous semblent les plus appropriés. On ne peut clairement pas en cerner une définition universelle et hétérogène. On peut tout au mieux définir quelques notions. Si on veut savoir ce qui serait intrinsèquement «humain», on va alors s’aventurer sur l’idée avec des postures de philosophe.
Mais qu’est-ce que c’est que la « nature humaine » ?
Historiquement, presque toute tentative « d’objectivation » du concept de nature humaine a aboutit à une définition excluante : « les civilisés » d’un coté, et les « barbares » (qui n’auraient pas pleinement réalisés leur « nature ») de l’autre. Les surhommes à une époque, et ses inévitables sous-hommes (sans compter les femmes, évidemment). Les bons citoyens, et les réfractaires à l’intégration. Les citoyens tout court, et les autres.

Dans le langage dominant, on fait même souvent incantation de la figure de « l’Autre » (qui est par définition, dans la philosophie bourgeoise, tout ce qui n’est pas “blanc, masculin, hétérosexuel, dominant”), devant attiser tantôt la compassion («les exclus»), tantôt la convoitise (« les classes moyennes »), et tantôt la crainte (« les jeunes », « les immigrés »), voir carrément la terreur (« les casseurs », « les terroristes »).

Ces définitions ont, d’une certaine manière, et avec des terminologies très variées -entant que dispositifs linguistiques- (on le sait, le langage structure le pouvoir) justifiées et permis des régimes de ségrégation, colonialistes, ou purement fascistes, voir plusieurs de ces choses à la fois. Combien de génocides ou de massacres perpétrés au nom des Lois ou des Forces de la Nature ?

On pourrait écrire des livres et remplir des bibliothèques d’exemples historiques attestant de cette curiosité épistémologique qui réside dans l’impossibilité d’établir une définition unique de la nature humaine, et des atrocités que chaque « définition définitive » a permit de justifier. Des « indiens d’Amérique » qu’on accusa d’être « sans âmes » aux juifs de l’Allemagne (et du reste de l’Europe) sous domination nazie, accusés d’être responsables de tout les maux. En définitive, c’est le vieux principe de la stratégie militaire qui opère ici : lorsqu’on convoite ce que d’autres ont, on les transforme en ennemis. Ou plus simplement : lorsqu’on convoite le pouvoir, on désigne des bouc-émissaires, ou au moins des éléments pathogènes. « Responsables », consciemment ou non, du « malaise social ».

On renforce l’idée d’une « unité nationale » ou « sociale » qui en définitive n’existe que comme raison d’Etat.

A chaque époque, à chaque société, à chaque pays, à chaque culture, à chaque idéologie -qui ne sont jamais que la société, le pays, la culture, et l’idéologie des classes dominantes d’une époque- : une nature humaine. Une « identité » humaine, voir « nationale ». Dans le même ordre d’idée, toutes les impasses de l’ethnologie nous orienteront encore sur la difficulté de définir au juste ce qu’est une « ethnie ». Et celles de l’anthropologie sur ce qu’est un humain.
Cette diversité des conceptions démontre la difficulté de concevoir une nature humaine in abstracto.

En conséquence, on peut affirmer que chaque circonscription de « l’inné humain » contient en germe son fascisme, ou au moins son schéma d’apartheid. Pire : Non seulement chacune de ces conceptions, que tel ou tel pouvoir fait sienne, est excluante, mais en plus on cherchera à légitimer (du point de vue moral), voir légiférer (du point du vue social) les comportements humains selon cette idée de nature. Non pas critiquer chaque action en fonction du bien individuel et du bien commun, ou par opposition de ce qui leurs est réellement nuisible (la violence structurelle, toutes les formes de domination et d’exploitation) mais de ce qui est (ou non) productif, de ce qui favorise (ou non) le bien des segments dominants de la société.

Toutes les actions ou comportements qui iront à l’encontre de la logique productive et des intérêts qu’elle sert seront réprimées entant que « déviance à la nature ».


De l’homosexualité (et sa fantasmatique « généralisation ») qui s’opposerait à la pérennité de l’espèce humaine, jusqu’à la grève (et sa probable généralisation) qui menacerait jusqu’à la survie de l’économie capitaliste (qui aurait des fondements tout « naturels »). Du refus individuel de l’escroquerie que constitue la famille traditionnelle (comme opposition à la cellule de base de « reproduction ») jusqu’aux révoltes contre la présence policière et ses violences quotidiennes : révoltes qui seraient forcément absurdes car « nulle société ne peut exister sans sanctions ». Et il va s’en dire que l’Etat même trouverait ses fondements dans les racines les plus profondes de « la Nature ». Pourtant rien n’est moins sur. Le sillon tracé par les conceptions modernes de la nature humaine procède d’un travail de normalisation qui tend à évoluer vers l’atomisation totale des sociétés (ou de ce qu’il en reste). Il ne s’agit pas de décrire un « âge d’or » où la société aurait existé pleinement, ou de manière parfaite, mais de mettre en exergue le fait que l’Etat tend à remplacer ou au moins détruire toute existence sociale qui n’est pas lui. La prétendue « crise du lien social » est en réalité l’effroi qui se dessine partout où on réalise qu’il n’existe plus. Si il fallait encore une preuve à la déstructuration des sociétés où règnent les conditions modernes de production, le fantasme d’un lien social généreux et soudé chez la figure familière et pourtant si « exotique » de l’ étranger devrait suffire. En France, on ira par exemple jusqu’à polir le stéréotype de l’hospitalité des Ch’tis pour continuer d’occulter le fait qu’il n’existe plus aucune hospitalité (à quelques exceptions près) dans les grandes métropoles, et même ailleurs, à cette seule fin de maintenir la myopie sociale jusqu’à l’absurde. A travers de concepts « dent creuse » tel que celui de solidarité nationale, la nécessité de faire encore croire au « partage » devant l’évidence de sa négation générale se fait encore ici sentir. Ou encore, la circonspection et la prudence des sociologues modernes vis à vis du terme même de « société » pour parler de ce qu’ils sont censés connaître le mieux, devrait achever de nous convaincre.


Dans son acceptation de ce qu’est un être humain, l’Etat, ce « monstre froid » -ou plus généralement le pouvoir- tend à rappeler que sans lui, plus rien n’est humain. Dans sa rhétorique glacée, qui ne dit à ce propos rien d’autre que « Peut il y avoir une société sans Etat, ou une humanité sans société ?» chacun est invité au silence.
La « nature humaine », dans son acceptation contemporaine, pourrait être vue comme la version civile du paradigme biblique de la bonne et de la mauvaise conscience. Des anges et des démons. Des conseils divins et des tentations sataniques. Aujourd’hui, on dirait « les bonnes et les mauvaises intentions ». Ou encore « les hauts et les bas instincts ». Mais ces dichotomies sont généralement aussi factices qu’elles sont acceptées.
Elles restent des mystifications au service des dominants. Florilège :

« La violence est à proscrire… mais pas si ce sont les bonnes personnes (avec un uniforme) qui l’emploient ».
« La torture et la peine de mort ne devraient pas exister… hormis pour les terroristes et les pédophiles ».
« Tout enfermement forcé est traumatisant et destructeur… mais la prison permet de rééduquer les criminels ».
« Frapper sur sa femme ou sa copine, c’est vraiment dégueulasse, sexiste, patriarcal… sauf quand elle l’a bien cherché ».
« Je n’aime pas le travail, et je n’aime pas mon patron… mais comment ferai-je sans lui ? ».
« Tout le monde devrait pouvoir aller où il veut… sauf ceux et celles qui n’ont pas de papiers d’identité».


Autant d’antinomies, d’inconséquences dans un certain imaginaire commun, qui devrait nous éclairer sur l’absurdité régnante des conventions sociales de l’époque. Reste que de « l’humain », il ne reste pas grand chose lorsque, quand réduit à cette seule ambiguïté, on ne peut que constater que plus personne ne sait vraiment qui définit au juste cet « ordre de l’univers, et ces lois qui semblent gouverner le monde », et pourquoi. L’impression qu’on a été lésé dès le départ, que le jeu est faussé. Qu’on avait pas toutes les cartes en main. Que tout est à refaire.

Quand en ces temps de nihilisme achevé, on demande d’une part aux actionnaires d’être «raisonnables», aux patrons d’être « respectueux », aux banques de faire « bon usage de l’argent publique », aux religieux de « recréer du lien social » -quand la société réelle s’est faite contre les religions- et d’autre part à des sans-papiers de « regagner leur pays », à des grévistes d’être « responsables » ou à la population -qui a toutes les raisons de la haïr- de « rétablir le dialogue » avec la police : On se fait une étrange idée de l’humain. Mais il faut de tout pour défaire un monde.

Par Okapi
Publié dans “Le cri du dodo”.

http://lecridudodo.blogspot.com/2010/07/la-nature-humaine-cest-le-fascisme.html

 

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